Au bord de la route départementale D826, la Maison de Vendine était encore récemment un bâtiment bien connu des amateurs du monde de la nuit, pour avoir abrité le Clapton, une discothèque aujourd’hui fermée. Ce lieu occupe une place à part dans l’esprit des habitants du village et dans la mémoire collective du Lauragais. Ce haut lieu de la Résistance dans le Midi toulousain a connu un passé bien mouvementé.

Nichée dans le Lauragais, la Maison de Vendine, ancien lieu d’accueil pour des colonies de vacances, est mise à la disposition du réseau Saliège en juin 1942 par les Sœurs Saint-Joseph de Bon Secours. Elle devient alors un lieu de refuge pour accueillir des enfants espagnols et juifs extraits du camp d’internement de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) avec l’autorisation de leurs parents.

Les résistantes Germaine Ribière et Louise Thèbe ont joué un rôle essentiel dans l’installation et le fonctionnement de cette maison. Avec le concours de Mme Kamnitzer, la directrice, et d’Alice Steinitz, jeune femme hongroise éduquée en France et de culture israélite que Germaine Ribière connaissait bien, une quarantaine d’enfants ont été accueillis à Vendine où ils ont reçu une éducation et une attention particulière. Cependant, après l’occupation de la zone libre en novembre 1942, qui occasionna des menaces croissantes de la Gestapo et des contrôles de police, la maison ferma ses portes en octobre 1943.

Après la fermeture, le réseau Saliège, aidé du réseau Garel de l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), a dispersé les enfants dans des familles d’accueil et des institutions religieuses pour les protéger.

La Maison de Vendine illustre l’engagement du clergé toulousain, de résistants et des habitants du Lauragais dans le sauvetage d’enfants persécutés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Découvrez l’histoire émouvante de la Maison de Vendine

TOULOUSE, UN DIOCÈSE-REFUGE
L’EXEMPLE DE LA MAISON DE VENDINE (JUIN 1942-OCTOBRE 1943)

Noémie Leroy, médiatrice pédagogique au Mémorial de la Shoah, présente le réseau Saliège de la Résistance toulousaine et raconte l’histoire de la Maison de Vendine.

Son texte, présenté ci-dessous, a été publié dans le livre Les hérauts de la Résistance catholique.

En raison de la présence de nombreux camps d’internement, le Midi toulousain à été qualifié de « zone d’internement » par l’historien Jean Estèbe. Paradoxalement, la Haute-Garonne, le Tarn, le Tarn-et-Garonne, le Gers, le Lot, le Lot-et-Garonne ont été des terres privilégiées et particulièrement actives dans l’entreprise de secours aux juifs. Celles-ci n’auraient pas connu un tel succès sans l’appui des diocèses locaux dont on peut apprécier, grâce à des archives méconnues, les soutiens et les marges de manœuvre.

L’éveil du clergé toulousain en faveur des internés

Si la plupart des évêques du Midi toulousain ont manifesté sans ambiguïté leur loyalisme et leur soutien au Maréchal Pétain, ils n’adhéraient pas pour autant aux mesures racistes et antisémites mises en place par le régime de Vichy. Le « statut des Juifs » du 3 octobre 1940 suscite l’indifférence dans la région toulousaine, y compris au sein du clergé. Pourtant, dès 1933, dans un rassemblement au Capitole contre le régime nazi, Mgr Saliège évoque les liens forts qui unissent le christianisme au judaïsme. La désapprobation d’une partie du clergé envers la législation antisémite du gouvernement français existe. Celle-ci prend de multiples formes, mais généralement elle reste discrète, personnelle ou indirecte et peut alors revêtir des formes provocatrices. En 1941, ce sont ces mêmes liens fraternels qui sont à nouveau invoqués dans les allocutions de l’abbé René de Naurois, de Mgr Théas, de Mgr Saliège, et du recteur de l’Institut catholique de Toulouse, Mgr de Solages. Le comportement de Saliège et des autres évêques est celui d’une convergence avec la Révolution nationale, plutôt que d’un « ralliement ».

Parallèlement, le diocèse de Toulouse soutient et patronne des œuvres caritatives chrétiennes qui interviennent auprès des internés. Au début de l’année 1942, à la suite de l’assemblée des cardinaux et archevêques de la zone non occupée, nait une association catholique d’aide aux étrangers dans les camps d’internement. Interné volontaire depuis plus de six mois, l’abbé Lagarde est reconnu par I’épiscopat comme aumônier général. L’assemblée lui adjoint le jésuite Roger Braun. L’association est aussi composée de plusieurs assistantes sociales, dont Thérése Dauty qui visite régulièrement les internés et assiste aux départs des premiers convois de prisonniers juifs des camps de Noé et du Récébédou, les 8 et 10 août 1942. Mgr de Courrèges d’Ustou, auxiliaire de l’archevêque de Toulouse, est quant à lui chargé de la répartition des fonds de l’Association catholique d’aide aux étrangers, dont les bureaux sont installés au 45, allée des Demoiselles, à Toulouse. La majorité de ces fonds proviennent du Vatican. En effet, par le biais du nonce apostolique en France, Valerio Valeri, le pape Pie XII envoie des subsides au diocèse de Toulouse pour venir en aide aux internés, sans distinction. Le nonce écrit à Mgr Saliège le 8 mars 1942 pour l’informer du premier versement :

Le Saint-Père, ainsi que vous le savez, pendant l’année dernière, avait accordé des subsides pour soulager un peu les souffrances des internés de certains camps […]. Pour le moment, je vais envoyer au comité catholique de Toulouse 200 000 [francs], […] je transmets ledit montant par ce même courrier à Mgr de Courtèges, votre évêque auxiliaire, afin qu’il veuille bien se charger, d’accord avec le père Arnou et l’abbé Lagarde, de l’utilisation des sommes envoyées.
Nonce apostolique du pape Pie XII en France —

Au total, le diocèse de Toulouse recevra 1 390 000 francs de la part du Vatican, soit l’équivalent de quelque 500 000 € aujourd’hui.

Les femmes de l’ombre : aux origines de la lettre pastorale de Mgr Saliège

L’Association catholique d’aide aux étrangers va recevoir une aide importante de la part de l’entourage du père Chaillet. Au printemps 1942, Chaillet sollicite Germaine Ribière pour apporter son aide au diocèse de Toulouse. Née à Limoges en 1917, elle occupe une place importante au sein des Jeunesses étudiantes chrétiennes (JEC). Proche collaboratrice du père Chaillet, elle fait partie de l’Amitié chrétienne et participe activement au réseau Combat. Se concentrant principalement sur des actions de sauvetage, Germaine Ribière est en relation avec de nombreuses organisations. L’aide qu’elle apporte à Mgr Saliège est précieuse. Elle revêt aussi une importance particulière puisqu’elle nous permet d’apprécier l’étendue des actions clandestines mises en place conjointement par des diocèses aux frontières poreuses.

Au printemps 1942, Mgr Saliège lui demande de se rendre au camp d’internement du Récébédou, situé à quelques kilomètres de Toulouse, sur la commune de Portet-sur-Garonne. Sous une fausse identité, Germaine Ribière se fait interner volontairement dans le camp. Ainsi, elle pourra raconter ce qu’elle a vu à Mgr Saliège et son entourage. À son témoignage vient s’ajouter celui de l’avocat juif communiste qui est aussi le représentant de l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE) en zone non occupée, Charles Ledermann. Il fait part de ses inquiétudes à Mgr Saliège à la suite des rafles qui ont eu lieu en zone occupée. Ces deux témoignages sont complétés par celui de l’assistante sociale Thérèse Dauty : suite au départ des premiers convois, c’est elle qui transmet à Mgr Saliège un rapport détaillé sur les conditions d’internement et les premières déportations. Celui-ci n’est pas signé, mais il est attribué au quaker Gilbert Lesage. Grâce à l’intervention de ces femmes courageuses, Mgr Saliège prend alors sa plume et décide de rédiger une protestation publique contre le sort réservé aux internés et surtout aux juifs. Le texte est rédigé en grande partie par son bras droit, Mgr de Courrèges d’Ustou, aidé par le chanoine Jèze. Ses phrases sont courtes et percutantes, nul ne peut y rester insensible :

Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.

Malgré l’interdiction du préfet régional diffusée par télégramme, la plupart des curés vont lire cette lettre pastorale en chaire le 23 août 1942 lors de la messe dominicale, sans ajouter de commentaires. De nombreux et de nombreuses catholiques vont diffuser cette lettre dans Toulouse et dans les campagnes environnantes. Les institutions religieuses, même les plus isolées, ont reçu un exemplaire. Les journaux et les radios retransmettent
la protestation de Mgr Saliège ; celle-ci se fait entendre en Amérique, en Angleterre et surtout jusqu’au Vatican. Le comportement de Saliège lui a valu une place singulière dans l’épiscopat et dans la postérité.

A la suite de l’écho important de cette lettre, Germaine Ribière, qui est basée à Lyon, organise une rencontre en septembre 1942 entre Mgr Saliège et Georges Garel, par l’intermédiaire de Charles Ledermann. Celui-ci vient d’être nommé responsable de la branche clandestine de l’OSE, elle prend alors le nom de « Circuit Garel ». Les quatre objectifs principaux de l’action clandestine de l’OSE sont les suivants :

  • séparer les parents des enfants pour leur permettre de survivre
  • les extraire des camps d’internement si besoin
  • leur procurer une fausse identité
  • les placer dans un milieu non juif
  • assurer leur surveillance par des assistantes sociales.

Grâce à cette collaboration entre juifs et catholiques, le sauvetage dans le Sud-Ouest a connu un essor particulier et surtout indispensable. Georges Garel témoigne de sa rencontre avec Mgr Saliège, qui l’a profondément bouleversé :

Georges Garel
Je ne peux pas dire que nous nous soyons liés d’amitié, car ce serait mal définir les rapports qui se sont établis entre nous. Mais il y avait certainement un élément d’amitié, de mon côté très respectueux, de son coté beaucoup plus paternel. Dès mon premier contact avec lui, j’ai senti que j’étais en présence d’un homme supérieur. Cet homme, je peux et je dois le dire, avait l’étoffe d’un saint. C’était d’autant plus frappant qu’en dehors des yeux, qui étaient lumineux et traduisaient une intelligence ouverte, il était physiquement très cassé, aphasique, il pouvait à peine parler et écrivait avec de grandes difficultés.

Cette rencontre décisive est symbolique, elle marque le début du « réseau Saliège ». Cependant, et c’est ici que se traduit toute la clairvoyance de Mgr Saliège et son entourage, quelques mois avant l’écriture de cette lettre, en juin 1942, on assiste aux balbutiements de ce réseau d’entraide et de sauvetage.

La maison de Vendine, un premier lieu d’accueil pour les enfants

Grâce aux subsides envoyés par le Vatican au diocèse de Toulouse, Mgr Saliège et Mgr de Courrèges d’Ustou envisagent d’ouvrir un premier lieu d’accueil dans la campagne toulousaine. Ils sollicitent Germaine Ribière pour trouver le lieu idéal. Depuis le 1er avril 1942, l’archevêché dispose d’une maison à Vendine (140 habitants). Cette maison était auparavant occupée par les sœurs de Saint-Joseph-de-Bon-Secours. Située à une trentaine de kilomètres au nord-est de Toulouse, la maison dite « de Vendine » est en mauvais état. C’est un ancien corps de ferme qui nécessite des travaux de rénovation. Isolé au milieu de la campagne, le bâtiment contient 25 lits et du matériel pour aménager un dortoir. Il comporte une grande cuisine, un réfectoire, deux petites pièces, une chapelle et une salle des fêtes. Un seul point d’eau est accessible, un puits, situé à trois cents mètres.

Avec l’aide d’une jeune amie israélite convertie au catholicisme, Alice Steinitz, Germaine Ribière adapte cette vaste demeure en un peu plus d’une semaine. Alice Steinitz devient l’une des monitrices de la maison de Vendine. Madeleine Kamnitzer en est directrice, de son ouverture à sa fermeture. Elle est issue d’une famille allemande protestante. Son mari, Ernst Kamnitzer est, quant à lui, juif. Il est caché par Mgr Solages et l’abbé Martimort dans la bibliothèque de l’Institut catholique de Toulouse. Toute la famille Kamnitzer s’est convertie au catholicisme. Ils ont été internés au début de la guerre puis libérés à cause de leur opposition notoire au régime nazi. Le plus jeune fils de Madeleine et Ernst est mélangé aux autres enfants de la maison. Suzanne, son unique fille âgée de vingt ans, s’occupe des plus petits aux côtés d’Alice Steinitz. De son ouverture en juin 1942 à sa fermeture, la maison de Vendine sera gérée uniquement par des femmes. Ensemble, elles se chargent des derniers préparatifs pour accueillir les premiers groupes d’enfants. Il faut trouver des draps, de la vaisselle, mais aussi de quoi ravitailler régulièrement la maison.

Dans des échanges épistolaires entre Mgr de Courrèges et le nonce Valerio Valeri, on apprend qu’un tiers des subsides envoyés par le pape Pie XII au diocèse de Toulouse a été utilisé pour alimenter ce premier lieu d’accueil. Cette répartition des subsides démontre l’importance que le diocèse de Toulouse accordait à l’entraide et au sauvetage avant même les premières rafles de l’année 1942. Louis de Courrèges d’Ustou n’omet pas de mentionner dans ses lettres que cette maison accueille des enfants juifs. La réponse de Valerio Valeri est plutôt positive. Cependant, une certaine méfiance vient nuancer ses encouragements :

La maison d’accueil de Vendine pourra, sans doute, faire beaucoup de bien à ces pauvres malheureux petits […]. Il faudra, cependant, faire attention afin que, sur le plan religieux, leur présence ne nuise pas à leurs camarades?.
Nonce apostolique du pape Pie XII en France —

Dans un souci de légalité, chaque parent qui souhaite confier son enfant au diocèse de Toulouse doit remplir un formulaire pour céder l’autorité parentale à Mgr Saliège. Les archives du diocèse de Toulouse ont conservé plus d’une trentaine de ces formulaires.

Pour protéger les enfants, un service de faux papiers (carte d’identité, faux actes de baptême) et de cartes d’alimentation s’organise en annexe de la colonie Sainte-Germaine. Louise Thèbe en assure le bon fonctionnement. Originaire de Martres-Tolosane, elle est la directrice de l’œuvre Sainte-Germaine et la
secrétaire des œuvres sociales du diocèse. Son rôle sera crucial dans le placement des enfants juifs.

Les Juifs encore en liberté savaient qu’ils pouvaient aller place Saintes-Scarbes, dans les bureaux dépendant de l’archevêché, demander conseil, aide, refuge. Toute une action de placement d’enfants juifs dans des familles ou des colonies fut, de plus, poursuivie. Mais tout cela fut interrompu avec I’Occupation en novembre 1942.

Le premier groupe accueilli dans la maison de Vendine est composé d’enfants espagnols dont les parents sont cachés ou internés. Fin août 1942, le diocèse de Toulouse réussit à extraire des enfants juifs, pour la plupart du camp de Rivesaltes :

Mais finalement, après maintes démarches de l’archevêché, un groupe de petits Juifs débarqua fin août. Nous les attendions, le cœur serré et avions fait la maison aussi accueillante que possible. Un grand car s’arrêta sur la route nationale, devant notre maison. Deux personnes de l’archevêché accompagnaient une trentaine d’enfants. Tous descendirent. Pas un sourire sur leurs visages. Ils étaient tristes, inquiets, douloureux, les plus petits un peu ahuris. “Voilà le plus jeune”, nous dit la personne qui les accompagnait, en désignant un bambin de deux ans et demi, blond aux yeux bleus et aux traits ravissants.
Directrice de l’œuvre Sainte-Germaine et secrétaire des œuvres sociales du diocèse —

Léo Schumer, extrait des camps en vue d’être recueilli à Vendine, se souvient du long trajet risqué pour rejoindre cette petite commune du Lauragais. D’après ses souvenirs, les enfants étaient accompagnés de deux religieuses et chacun d’eux avait des faux papiers d’identité, parfois avec le même nom que l’archevêque
de Toulouse, Mgr Saliège. Après un voyage en train puis en bus, les enfants arrivaient à la « ferme Saliège », comme Léo Schumer la qualifie dans ses mémoires.

La vie quotidienne dans la « Ferme Saliège »

Léo et sa sœur Régine font partie de ce deuxième groupe. Originaires d’Anvers, en Belgique, ils sont arrêtés dans la ville d’Annemasse après une tentative de passage en Suisse avec le reste de leur famille. Ils sont internés au camp de Rivesaltes en août 1942. Quelques jours plus tard, grâce à deux religieuses, les parents de Léo et Régine acceptent de confier leur autorité parentale à Mgr Saliège. Profondément marqué par son passage à Vendine, Léo se souvient de la faim qui le tenaillait :

Je me trouvais [.…] dans une situation difficile. C’était vrai que Vendine était mieux que la vie à Rivesaltes, mais cela n’enlevait pas le fait que Régine n’arrêtait pas de me dire qu’elle avait faim. J’étais à la même enseigne qu’elle, nous étions tout simplement affamés. Le petit-déjeuner fut vraiment minuscule. Une petite tartine et un bol de lait. J’avais remarqué que certains enfants recevaient deux tartines, parfois même trois. Le rationnement s’organisait ainsi : les P1 de 4 à 8 ans, les P2 de 9 à 13 ans et les P3 de 14 à 18 ans. Il est normal que les plus grands aient plus de nourriture que les petits.
Enfant pensionnaire de la maison de Vendine —

Tous les matins, les enfants ont l’habitude de chanter une comptine composée par Maurice, un adolescent juif pris en charge par la directrice :

A sept heures du matin
Not’mère Mad’laine sen vint
Sa clochette à la main, comme elle fait tous les matins
Allons les garçons et les filles
Soyez bien gentils
La serviette sur le dos
Pour aller au lavabo
La itou la itou lalère
La itou la itou lala
Ceux qui pleurent sont des imbéciles
Ceux qui rient sont des intelligents.

La journée, les plus grands travaillent chez des paysans aux alentours, les. plus jeunes fabriquent des paniers en osier avec l’aide des monitrices de la maison. Ils ont l’autorisation de se promener discrètement dans la campagne environnante. Lors des beaux jours, les enfants se baignent près d’un moulin à eau. Léo se souvient très distinctement du jour où sa sœur, Régine, a failli se noyer. À partir du mois d’octobre 1942, les enfants prennent le chemin de l’école :

Dès octobre, il nous apparut que le mieux serait de donner à nos petits le cadre d’une vie normale. Le maire de Vendine mit à notre disposition la petite gare désaffectée du village. Le bureau du chef de gare fut transformé en salle de classe, avec un tableau, des chaises et des tables. Les enfants furent partagés en deux groupes : Suzanne garda les petits de deux à huit ans et organisa un jardin d’enfants et un cours préparatoire à la maison. Elle avait toujours rêvé d’être jardinière d’enfants ! Ce fut là son premier essai, elle y réussit merveilleusement, grâce à ses multiples dons en chant, musique, dessin, à une psychologie pénétrante des tout-petits et à un dévouement sans limites. Pour moi, je pris ceux de huit à quatorze ans. Les trois grands, Yoppi le tailleur et deux filles restèrent à la maison. Ma classe fut assez bizarre. Il n’y avait pas deux enfants du même niveau : l’un savait un peu de français, l’autre pas du tout. L’un avait eu des années de classes régulières, l’autre non. Peu importait. Au fond il ne s’agissait pas tant de leur inculquer beaucoup de science que de les raccrocher à la vie, à travers des choses concrètes qui étaient de leur âge. On avait six heures de classe et des récréations. Le retour à midi dans la maison coupait agréablement la journée.
Enfant pensionnaire de la maison de Vendine —

Les responsables de la maison mettent un point d’honneur à célébrer les fêtes chrétiennes. Les enfants catholiques vont à la messe tous les dimanches dans la commune de Caraman. A Noël, chaque enfant reçoit une paire de sabots ainsi qu’un bon repas, composé de viande et de pommes de terre. Alice Steinitz témoigne :

Le bien de l’âme de nos enfants était pour nous un souci de tous les instants. Pour chacun la vie était un drame, il leur fallait une somme d’amour énorme pour retrouver un peu de calme, confiance. Mais le souci de leur corps était aussi grand.
Monitrice de la maison de Vendine —

Protéger, aimer, éduquer, mais aussi redonner le sourire sont les priorités du personnel de Vendine. La faim et les épidémies faisaient aussi partie du quotidien des enfants accueillis à Vendine. Les épidémies de poux, de morpions et de scarlatine sont récurrentes. Extrait du camp de Gurs, Thomas Aron est l’un des pensionnaires juifs parmi les plus âgés. Il a témoigné des conditions de vie difficile de ce refuge :

On nous amène à Vendine, près de Toulouse : il y a une vingtaine d’enfants de tous âges sous l’autorité de deux ou trois monitrices juives. Elles ont un faible pour moi. Avec l’une d’elles, je fais des devoirs de français, je lis le Moïse de Vigny […] Un soir on m’appelle à la rescousse pour calmer une petite fille à cheveux roux : elle ne veut se laisser déshabiller qu’en ma présence. J’attrape la scarlatine.
Adolescent, pensionnaire de la Maison de Vendine —

Thomas est alors hospitalisé en urgence. Alice Steinitz témoigne des autres préoccupations des enfants :

Lorsque le matin nous passions dans le jardin, pour retourner dans les dortoirs dont nous faisions le ménage, combien de fois nous surprenions la conversation de nos petits. Des enfants de cing, six ou sept ans qui parlaient entre eux avec le plus grand des sérieux, digne de grandes personnes : “Crois-tu que Papa a reçu les passeports ?”, disait un garçon à une petite. La petite lui répondit : “Tu sais, c’est très long, Maman dit que les démarches avec la Suisse risquent de durer longtemps encore”?,
Monitrice de la maison de Vendine —

Léo Schumer se rappelle avoir attendu de longues heures au bord de la grande route qui longeait la maison. Il craignait d’être oublié, abandonné.

La fermeture de la maison de Vendine et la dispersion des enfants

Malheureusement, Vendine n’a été un havre de paix pour les enfants juifs que pendant une année à peine. Face aux arrestations de plus en plus nombreuses opérées par la Gestapo et la police française dans la région toulousaine, mais aussi aux fréquents contrôles d’identité effectués par les gendarmes, la sécurité des réfugiés n’étant plus assurée, la directrice juge plus prudent de fermer la maison en octobre 1943. Certains parents organisent alors le rapatriement de leurs enfants via des intermédiaires. Un matin, un ronronnement se fait entendre. Une jeune femme, Jeannine, est missionnée par les parents de Léo et Régine afin de récupérer les enfants à Vendine et de les conduire en sécurité jusqu’à Nice. Les Schumer ont réussi à monnayer leur libération du camp de Rivesaltes auprès d’un gendarme qui surveillait I’entrée. Après un court séjour à Nice, la famille au complet a réussi à rejoindre la Suisse grâce à un passeur. Certains parents sont toujours internés ou ont été déportés. Germaine Ribière a la charge de leur trouver des familles d’accueil. Une partie des enfants juifs est envoyée en toute hâte au couvent Notre-Dame-de-Massip, en Aveyron. Sa directrice, Sœur Denise Bergon, et son adjointe, Sœur Marguerite Roques, ont accueilli plus de quatre-vingts enfants juifs de décembre 1942 au mois d’août 1942.

Grâce à l’entraide et au sauvetage mis en place très tôt par l’Association catholique d’aide aux étrangers internés dans les camps, le diocèse de Toulouse s’est transformé en un refuge pour de nombreuses familles juives persécutées. Parmi les chevilles ouvrières de ce « réseau Saliège », les femmes occupent une place importante. Elles se sont illustrées par leur courage et leur dévouement. De plus, ces différents parcours de femmes nous permettent de mieux appréhender les interconnexions qui existaient entre les diverses organisations de sauvetages juives et chrétiennes.

Pour aller plus loin

Bibliographie

  • Aron, Thomas, Dans le fond de ton cœur, je scay, Presses Universitaires de Franche-Comté, 1993.
  • Bédarida, Renée, Les Catholiques dans la guerre, 1939-1945, Hachette littérature, 1998.
  • Cabanel, Patrick, 1942, Mgr Saliège, une voix contre la déportation des Juifs, Portet-sur-Garonne, Éditions midi-pyrénéennes, coll. « Cette année-là », 2018.
  • Clément, Jean-Louis, Monseigneur Saliège, Archevêque de Toulouse 1929-1956, Beauchesne, 1994.
  • Denis, Jean-Pierre, Nos enfants de la guerre, Seuil, 2002.
  • Estèbe, Jean, Le Sort des Juifs du Midi toulousain sous le régime de Vichy, Toulouse, PUM, 1997.
  • Steinitz, Alice, Quitte ton pays, Le Sarment, Fayard, 1992.
  • Zeitoun, Sabine, L’Œuvre de secours aux enfants (OSE) sous l’Occupation en France, L’Harmattan, 1990.

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