Le pastel a donné ses lettres de noblesse au Lauragais. Au XVIème siècle, la région connaît un essor sans précédent grâce au commerce de cette plante, exportée à travers toute l’Europe. La campagne se couvre alors de châteaux, d’hôtels particuliers, d’églises et de pigeonniers. De simples propriétaires terriens deviennent des bourgeois fortunés, accédant même pour certains à la noblesse. Mais saviez-vous qu’autrefois cette plante servait à confectionner une belle teinture bleue indélébile ? 

UNE BELLE PLANTE EN LAURAGAIS

« Isatis tinctoria » est son nom latin. Exploitée dès l’Antiquité, c’est à partir du XVème siècle qu’elle fut véritablement cultivée dans le Lauragais. Cette plante n’est pas difficile à faire pousser : vous pouvez vous-même faire une tentative dans votre jardin ou sur votre balcon !

Traditionnellement, semée en pleine terre en février ou à l’automne, elle aime les sols riches et bien drainés. Le pastel une plante bisannuelle (elle a un cycle de vie sur deux ans). La première année, elle produit des feuilles (une rosette) et la seconde, elle monte en graines.

Les feuilles qui étaient récoltées pour faire la teinture bleue avaient une particularité : elles étaient ourlées d’une couleur pourpre. Cela indiquait qu’elles étaient chargées en indigotine (nom du pigment indigo) et donc prêtes à être utilisées pour la teinture. La récolte se faisait feuille par feuille à la main. En Lauragais, jusqu’ à six récoltes pouvaient être faites de juin à novembre, contre quatre en moyenne dans le reste de la France…

Une fois ramassées, les feuilles étaient directement écrasées sous le moulin pastelier, entrainé par un âne ou un cheval. Broyées, elles étaient ensuite égouttées puis au bout d’une semaine, et après avoir été remuées très fréquemment pour éviter l’apparition des moisissures, elles étaient moulées à la main pour former des « coques » (des boules de la grosseur d’un gros citron). Le Pays de Cocagne c’est donc le lieu où l’on façonnait ces fameuses coques !

Ces coques étaient ensuite déposées dans une pièce ventilée sur un séchoir à pastel : des étagères grillagées appelées « claies ». Le séchage pouvait durer plusieurs mois. Il fallait que toute l’eau s’évapore et que la boule durcisse.

DE LA COQUE à LA TEINTURE

Vous l’aurez deviné : le procédé de transformation était long et fastidieux. La raison est toute simple : le pigment indigo n’est pas soluble dans l’eau. Une réaction chimique devait être obtenue par fermentation pour qu’il puisse imprégner durablement les tissus.

Lorsque les coques étaient enfin sèches, elles étaient réduites en poudre à l’aide d’un maillet. La poudre était mise dans une cuve carrelée creusée à même le sol. Elle était humidifiée et remuée régulièrement afin de provoquer une seconde fermentation On obtenait ainsi une pâte (de là provient le mot « pastel ») qui était retournée deux fois par semaine avec une pelle. Cette étape-là durait quelques mois et… dégageait une odeur nauséabonde ! C’est pour cela que ce processus de transformation se tenait à l’écart des villes : il avait lieu probablement dans des fermes dispersées dans la campagne.

Une fois cette seconde fermentation terminée, on obtenait enfin une matière bleu gris foncé : l’agranat. Ce dernier vient du mot occitan « agranar » qui veut dire « concasser», car en effet, il fallait le réduire en poudre très fine pour l’utiliser dans les cuves de teinture.

Coque & Agranat

Il est souvent écrit que l’Indigotier (Indigofera tinctoria), plante tropicale venue d’Amérique, a réduit à néant la culture du pastel. Méfiez-vous de ces « on dit », car il n’y a pas plus faux que cette affirmation.

Pastel & Indigo, unis comme les doigts d’une main

A partir de la seconde moitié du XVIème siècle et jusqu’au milieu du XIXème siècle, le pigment indigo, issu de la plante Indigofera tinctoria, était rajouté dans la cuve de pastel.

Le pastel, préparé sous cette forme, avait une double utilité :

  • Il apportait une partie du colorant bleu
  • Il permettait de rendre soluble le pigment indigo grâce aux bactéries et des sucres qui étaient issus des deux fermentations qu’il avait subies.

L’ajout de l’Indigofera tinctoria dans la cuve apportait un supplément de colorant bleu beaucoup plus concentré que le pastel.

Le saviez-vous ?

L’indigo n’est pas une plante mais le nom du pigment bleu, présent dans chacune plante tinctoriale ci-dessous :

  • Isatis tinctoria, le pastel, qui pousse sous nos latitudes
  • Indigofera tinctoria, l’indigotier, qui est une plante tropicale poussant en Afrique, Amérique ou en Asie.

D’autres plantes indigofères sont également utilisées à travers le monde : la persicaire (Asie), la gara (Afrique)…

Le pastel n’est plus cultivé à grande échelle en France et il est, à l’heure actuelle, impossible de s’en procurer.

JAUNE, VERT PUIS BLEU : LA MAGIE OPèRE

Il s’agissait ensuite de mettre dans une grande cuve en bois de l’eau et quelques grammes d’agranat réduit en poudre..

Le tissus, plongé dans la cuve de pastel et d’indigofera, ressort jaune vert dans les premières secondes.

Progressivement, avec l’oxygène de l’air, il prend cette belle couleur bleue.

La couleur bleue définitive sera obtenue lorsque le tissu sera sec.

Pour obtenir une teinture bleu foncé, il suffisait de tremper le tissu plusieurs fois dans la cuve. Après le premier bain, il ressortait jaune, virait au vert puis, rapidement en s’oxygénant, devenait bleu.

LE DECLIN DE L’OR BLEU

Le pastel connaît son apogée au milieu du XVIème siècle. Hélas, plusieurs évènements concomitants vont venir mettre fin à ce beau succès :

  • Les mauvaises récoltes
  • Les guerres de religion

Voyant l’économie du pastel s’effondrer d’année en année à cause de la concurrence avec l’indigotier, Henri IV prit une décision radicale le 27 aout 1598 : il interdit de l’employer dans les opérations de teinture. Mais cette interdiction fut levée quelques années plus tard.

Au milieu du XIXème, l’invention de l’hydrosulfite de sodium rendit totalement inutile l’ajout du pastel fermenté dans les cuves de teinture. Mais ce réducteur chimique, de nos jours utilisé partout dans le monde au sein de l’industrie textile, est un vrai fléau pour l’environnement et la santé.

LES RENAISSANCES

Le pastel connait deux renaissances aux XIXème et au XXème siècle :

  • Sous Napoléon, grâce au blocus continental avec l’Angleterre : les matières tinctoriales n’étant plus disponibles, l’empereur encourage la production de pastel français afin de teindre les uniformes de l’armée. Une indigoterie est d’ailleurs créée à Toulouse, mais la production reste au stade artisanal. Les années passent …et l’Empire s’effondre !
  • Dans les années 90, un couple bruxellois, Henri et Denise Lambert, se prend de passion pour cette belle plante. La recette de la teinture ayant disparu, ils font des recherches pour la retrouver et mettre au point un nouveau procédé pour extraire la couleur.

Enfin, sachez aussi que depuis 2003, quatre brevets ont été déposés par un institut de recherche sur le pastel. Les graines, pressées à froid donnent une huile cosmétique anti-oxydante (limitant le vieillissement de la peau) et très hydratante. Il ne vous reste plus qu’à la tester sur votre peau !

Infos pratiques

Bibliographie

Remerciements

Un immense merci à Françoise Carayon, propriétaire de la Ferme au village à Lautrec, qui nous a accueilli chez elle à Escoussens pour un stage de teinture au pastel et indigo les 18,19,20 avril 2024. Elle a partagé ses connaissances et son savoir-faire avec passion et surtout, sans restriction !